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* L'espoir fait vivre. *
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31 juillet 2007

Baleines

Mon précédent blog était rédigé en collaboration avec une fille formidable qui m'a envoyée vers un blog formidable. L'article qui suit n'est pas de moi, mais il est très juste, et très clair dans la manière d'expliquer en une page l'absurdité de trois lignes (d'autant qu'on pourrait en faire autant sur n'importe quelles trois lignes). Respect.

Nicolas Sarkozy déclare sur le site de Télérama :

Je souhaite que l'on donne à tous les enfants
accès aux grandes œuvres de l'esprit.
Mais attention, quand un enseignant demande
à un enfant d'imaginer une autre fin au Cid,
c'est dire à l'enfant qu'il peut se prendre pour Corneille,
c'est le contraire d'une école de l'excellence.

Je ne suis pas d'accord avec cette assertion pour tellement de raisons que j'ai du mal à les mettre en forme.

a

1/ C'est dire à l'enfant qu'il peut se prendre pour Corneille

Non.
C'est lui proposer une exercice de rédaction avec des contraintes implicites et explicites multiples qui permettent de vérifier :

- sa compréhension du texte : qui est amoureux de qui, qui est fâché avec qui, pourquoi, etc.

- sa compréhension du contexte : ce n'est pas un exercice de transposition, donc il ne peut pas situer l'action à Paris en 2007, et doit tenir compte des données sur chaque personnage (sexe, âge, rôle social, noblesse, autorité... )

- sa compréhension et sa maîtrise du style et de la forme : une pièce de théêtre ne s'écrit pas comme un roman. Si l'exercice est fait correctement, cela prouve que l'élève a par exemple intégré le concept de didascalie, même s'il ne retient pas le mot.

- sa compréhension du niveau de langue : et ben ouais "Oh rage ! Oh désespoir !", n'appartient pas au même registre que "Oh ! putain, merde ! l'enculé...", ou, de façon moins anachronique, "Bougre de faquin !"...

On ne demande pas à l'élève de pondre du Corneille, on lui demande de faire preuve de cohérence narrative : que Chimène ne décide pas brutalement et sans avertissement que finalement Rodrigue louche et qu' elle n'a jamais ailes bruns...
On ne peut pas en dire autant du classique "Racontez vos vacances",l'on ne peut exiger ni fil rouge narratif ni chute construite.
(Je vais en parler à quelques profs de français de ma connaissance : j'aurais peut-être à préciser, voire reprendre cette partie).

a

2/ C'est dire à l'enfant qu'il peut se prendre pour Corneille (bis)

He says that like it's a bad thing...

Si un entraîneur dit à des enfants de jouer à fond chaque match comme si c'était la finale de la Coupe du Monde, les encourage-t-il à se prendre pour Maradona ? (ou plutôt Zidane. Ciel, je vieillis)
Et surtout : si oui, est-ce un mal ? À mon sens, non, tant que ça reste dans des proportions raisonnables, bien sûr, et que l'enfant ne s'imagine pas qu'il est un génie du ballon rond, et donc dispensé d'aller en cours...

Quel mal y a-t-il à ce qu'un élève de troisième essaie d'écrire une pièce de théâtre parce que la rédaction de la prof lui en a donné le goût ?

Anecdote personnelle sans intérêt :
Quand j'étais en sixième, on nous a demandé d'écrire un poème dans le genre de celui de Maurice Carême "La Tour Eiffel" (tiens je suis contente de le retrouver, il m'a appris les mots ingambe et phalène), mais en le consacrant à une lettre de l'alphabet (la Tour Eiffel étant, bien sûr, le A).
Je me souviens que je me suis éclatée à en écrire non pas un mais trois, perdus pour la postérité. Merci à Mme C. merveilleuse professeur qui m'a présenté l'art du résumé (c'est est un), du pastiche et de bien d'autres choses encore.
Je ne me souviens que d'une bribe de celui de la lettre O :
Je suis le précieux liquide
Que l'Homo sapiens dilapide
Pour nettoyer ses caniveaux.

Pour sûr, ce n'est pas du Maurice Carême.

Mais suis-je devenue une dangereuse psychopathe ou autant ? Ai-je raté ma vie ? Me suis-je trouvée en contradiction, en opposition avec l'école de l'excellence ?

a

3/ C'est le contraire d'une école de l'excellence

Alors, c'est quoi, une école de l'excellence ? Une école où l'on apprend aux élèves à révérer le corpus des anciens sans qu'ils soient autorisés à ne serait-ce qu'imaginer une alternative ? Ça s'est beaucoup fait, et cela a donné de grands contempteurs de la chose scolaire, comme Victor Hugo, qui se sont dépêchés d'envoyer bouler les règles et les Grands Anciens (phtagn!) en une homérique (chassez les anciens, ils reviennent au galop...) Bataille d'Hernani !

On a beaucoup débattu de la pertinence d'introduire des auteurs modernes (je veux dire, contemporains, désolée Ric) dans les programmes scolaires, et des modalités de cette introduction. C'est une question très valable, qui a aussi l'intérêt de montrer aux élèves que la littérature ne se résume pas à l'oeuvre de "dead white males" (*) (hommes blancs morts) comme on l'a dit dans les années 1970...

Il me semble que l'étude du patrimoine littéraire français est une chose importante, mais que l'appropriation de ce patrimoine, et plus encore du patrimoine linguistique est encore plus fondamental. Il s'agit de leur expliquer que la langue est un outil, qu'on utilise sans y réfléchir la plupart du temps, mais qu'il est essentiel de bien connaître. Cet outil permet de faire des choses utiles et solides pour peu qu'on soit soigné, très variées, et parfois des oeuvres d'art inoubliables...

Parce que qu'un élève qui sort du système scolaire avec une bonne compréhension, et une maîtrise, des registes de langues, des types d'écritures (un CV n'est pas un pamplet, etc) et ainsi de suite, aura une bien plus grand capacité de se cultiver seul dans les champs littéraires qui l'intéressent que quelqu'un qui n'aura à sa disposition qu'une frise chronologique du type Rabelais-Molière-LaFontaine-Racine-Corneille-Hugo, sans offense aucune aux dits auteurs.

Il est facile à M. Sarkozy de glisser cette phrase fourre-tout "école de l'excellence" avant de continuer :

Peut-être est-ce un point de désaccord entre nous, mais selon moi l'idéologie de Mai 68 était organisée sur un concept : tout se vaut et chacun est l'égal de l'autre. Eh bien, non, pour moi, toutes les œuvres ne se valent pas.

puis d'enchaîner sur les programmations des chaînes de télévisions publiques, sans nous dire ce qu'il entend exactement par cette école de l'excellence. Il nous dit ce qu'elle n'est pas : une école de mai 68 et une école égalitariste (en sous-entendant que c'est la même chose).

J'ai vraiment du mal à voir comment la consigne "écrivez une suite à ce dialogue" est brutalement devenue un appel au laxisme irresponsable (les soixantuitards sont tous des laxistes irresponsables, c'est bien connu) assorti d'un souverain mépris pour les oeuvres classiques...

Je sais bien que l'élection ne se jouera pas sur d'aussi minces détails, ou du moins pas sur ces minces détails-ci, mais cela continue de me chiffonner, non, soyons franc, de me faire bouillir.

Des idées sur la question ?

(*) C'est fou. J'ai mis un moment à comprendre pourquoi l'expression dead white males m'évoque confusément des baleines.
Dead wh(ite m)ales.
Dead whales.
Des baleines mortes...
Mon cerveau a d'étranges circonvolutions parfois.

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